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Histoires

Par Père Jean Denis Saint-Félix, SJ, Supérieur des Jésuites d’Haïti

12 juillet, 2021–Dans la nuit du 6 au 7 juillet 2021, un événement macabre vient de s’ajouter à la longue liste de faits douloureux qui ont scandé la vie sociopolitique de notre pays durant ces derniers mois : kidnappings, assassinats, massacres et déplacements massifs de populations, blocage de voies publiques et isolement de plus de trois départements géographiques etc. Tôt dans la matinée, les médias annoncent la triste nouvelle… Vers 1h am, un commando armé assassine–au moyen de 12 projectiles d’armes lourdes- le Président de la République, Mr Jovenel Moise, dans sa résidence privée située dans le quartier résidentiel de Pèlerin 5 à Pétion-Ville, commune de la région métropolitaine de Port-au-Prince. La Première Dame, Martine Moise, est également touchée par 3 projectiles, mais reste vivante, même dans un état critique. La nouvelle circule rapidement, telle une trainée de poudre, dans tous les coins du pays. Paradoxalement, elle n’a suscité ni débordements de joie, ni manifestations publiques de tristesse. Stupéfaction ! Prudence ! Incertitude ! Peur ! etc. La population reste terrée à la maison ; et la vie sociale, surtout dans les villes, connait une paralysie presque totale : transport en commun, institutions publiques, banques, centres commerciaux, marchés publics, commerces informels, etc.

Une religieuse prie pendant la messe dans une église de Port-au-Prince, Haïti, le 11 juillet 2021, suite à l’assassinat du président haïtien Jovenel Moïse le 7 juillet. (CNS photo/Ricardo Arduengo, Reuters)

Cet événement reste bien loin d’être un acte isolé. Il se situe dans un contexte de crise générale, de violence aveugle, d’occupation de près d’un tiers du territoire de la capitale par les gangs armés, de paralysie presque totale de la vie politique, économique et culturelle du pays. Il représente un indicateur du désarroi d’une société, la suite logique d’une étonnante et triste escalade qui s’est accélérée ces derniers mois. Cette situation est décrite dans le message du 18 décembre 2021 des jésuites. Nous y avons tiré la sonnette d’alarme et interpellé vivement les acteurs concernés, nationaux et internationaux. L’assassinat du Président Moise en même temps qu’il empire le chaos dans lequel le pays se trouve enlisé, reste aussi un miroir qui reflète les grands problèmes, paralysant la société aujourd’hui : la grave crise sécuritaire, l’effondrement des institutions, le vide constitutionnel, le profond discrédit du politique et le rejet du Chef de l’État par une grande partie de la population, la « gangstérisation » des habitants des quartiers populaires des villes et du monde rural comme stratégie politique, la polarisation de la vie politique, l’échec cuisant des acteurs internationaux, l’égoïsme et l’étroitesse de vue d’une bonne partie de la toute puissante oligarchie économique…

Le Président a connu un taux d’impopularité rarement enregistré par un Chef d’État dans l’histoire politique du pays. L’effondrement de l’économie et ses dures retombées sur la population, notamment les secteurs marginalisés majoritaires, les dissensions au sein même de sa famille politique (le PHTK) à l’approche des échéances électorales, ses conflits ouverts avec des secteurs puissants de l’oligarchie, son manque d’expérience politique et sa gestion catastrophique de la crise, notamment de sa relation avec les gangs, responsables de centaines d’enlèvements, de massacres et de nombreux assassinats, etc. Tout annonçait hélas ! la fin tragique de l’expérience politique de ce jeune entrepreneur, issu d’une famille paysanne pauvre et parachuté par son mentor, l’ex-Président Michel Martelly, dans le monde politique infernal et corrompu de Port-au-Prince. Son assassinat créé une situation proche du chaos. Jusqu’à présent aucune issue juridique précise n’est envisageable pour assurer la continuité de l’État et un minimum de stabilité politique ; tant la crise institutionnelle et constitutionnelle est profonde. Pour sa part, la classe politique, notamment l’opposition, décriée et divisée, se montre jusqu’ à présent incapable de créer un consensus et d’arriver à un accord en vue d’assurer une transition politique crédible et sortir de ce bourbier. La Communauté Internationale, notamment les États-Unis d’Amérique, véritable leader du jeu politique haïtien, arriveront-ils à accompagner les acteurs politiques locaux vers une sortie de crise, bénéfique pour la nation haïtienne ? Là encore, l’incertitude est de mise !

C’est dans ce contexte spécial, fait d’angoisse et d’incertitude, de souffrance mais aussi d’espérance que nous, Jésuites d’Haïti, sommes appelés à annoncer le Christ ressuscité, Vainqueur du mal, de la violence, du mensonge et de la mort ; à incarner les préférences apostoliques universelles de la Compagnie de Jésus. Une telle situation nous fait toucher du doigt nos limites humaines, notre impuissance ; mais nous invite en même temps à compter sur la grâce du Seigneur qui ne faillit jamais pour vivre authentiquement notre mission de faire grandir la vie et germer l’espérance dans le cœur des femmes et des hommes de notre pays, spécialement les plus jeunes. Ainsi continuerons-nous de participer au processus de guérison et de réconciliation de la grande famille haïtienne pour qu’elle puisse enfin connaître la libération intégrale et prendre goût à la vie. Point besoin de vous dire que nous comptons aussi sur votre solidarité fraternelle active !

Que le Seigneur bénisse notre pays, qu’il nous accorde paix, consolation et sérénité !

Port-au-Prince

La Curie de la Compagnie de Jésus en Haïti

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