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Histoires

Par Christopher Smith SJ

père Walter Ciszek SJ (CNS Photo/A.D. Times)

Alors que j’étais dans ma jeune vingtaine, j’ai vécu une expérience spirituelle qui m’a amené à commencer un discernement en vue d’une vocation à la prêtrise ; c’est alors que j’ai rendu visite à mon parrain et à ma marraine qui administraient une école dans la réserve Navajo à Gallup, au Nouveau-Mexique. Ma grand-mère m’a alors offert de manière inattendue ce qui est, peut-être, la babiole catholique la plus clichée. C’était une photocopie d’une image sainte protégée par une couche de ruban laminé, avec un petit carré de cuir qui y était attaché.

« C’est Walter Ciszek, » m’a-t-elle dit, comme si cela devait provoquer une reconnaissance instantanée de ma part. Voyant ma confusion, elle ajouta : « Il a vécu en Pologne, en Ukraine et en Russie. Il aimait le rite byzantin. Je pense que tu vas l’aimer… tu devrais lire sur sa vie. Ceci est un morceau de sa pantoufle — une relique de seconde classe. Mon amie de l’église de ta grand-mère était l’amie d’une religieuse qui vivait avec sa sœur. »

J’ai rangé la relique quelque part, puis quelques mois plus tard j’ai décidé de lire à son sujet. J’ai commandé son livre, « With God in Russia; » je suis littéralement resté debout toute la nuit pour le lire — je n’arrivais pas à arrêter ma lecture. Dix ans plus tard, j’écris ces mots alors que je suis régent jésuite — je ne suis pas encore prêtre, mais cela fait sept ans que je fais partie de la Compagnie de Jésus. Je suis jésuite, et ma vie est ce qu’elle est aujourd’hui à cause de Walter Ciszek ; et je reste un inconditionnel invétéré de Ciszek (et, sans surprise, j’ai même adopté son nom, lors de mes vœux).

Depuis que j’ai « rencontré » Walter (plus de trente ans après sa mort), j’ai lu tout ce que j’ai pu trouver à son sujet. Pour moi, il incarne ce que doit être un jésuite — c’est-à-dire être qui on est, du mieux qu’on peut, au service du Christ. Il était pieux, impétueux, audacieux, têtu et grégaire, et il a utilisé ces attributs pour s’infiltrer en URSS afin d’y accompagner les catholiques en secret ; et il y a enduré les tourments du travail forcé en Sibérie quand il a été découvert.

L’arrivée du père Ciszek à New York en 1963, après 23 ans en Russie ; la plupart passés en captivité dans des camps de travail forcé en Sibérie et dans des prisons soviétiques.

Récemment, j’ai trouvé un article sur Ciszek dans « With God in America », qui consiste en un amalgame récent des écrits de Ciszek et des anecdotes le concernant, rapportés par des gens qui le connaissaient et qui ont été compilés par John Dejak et Marc Linderjer SJ (un livre que je recommande chaleureusement à ceux qui ne l’ont pas encore lu). Insatisfait de la réception timide du livre, j’ai creusé un peu plus — contacté les personnes qui avaient été témoins, ou qui étaient là lorsque tout cela s’était produit. L’histoire qui est ressortie était si belle, et elle mettait en lumière la tranquille sainteté de Ciszek. C’est pourquoi je la partage ici, parce que selon moi celle-ci montre bien comment nous sommes appelés à vivre notre foi chrétienne dans le monde actuel (quelque 50 ans plus tard).

Un soir, vers la fin des années 1970, Walter Ciszez participait au temps de socialisation précédent le souper, un rituel jésuite familier ; un rituel auquel il participait régulièrement depuis qu’il vivait dans la communauté John XXIII de New York. Toutefois, ce soir-là n’était pas comme les autres. En effet, au lieu des conversations typiques et des vieux arguments, des souvenirs ressassés, des monologues sur la politique en cours, des discussions sportives ou du silence malaisant de ceux qui viennent socialiser toujours avec les mêmes personnes soir après soir (et qui ont épuisé tous les sujets de conversations possibles), ce soir-là il y avait dans l’air, de la salle Haustas, une animation inhabituelle alimentée par un sujet de conversation controversé.

Le brouhaha tournait autour d’une crise dans l’église que les prêtres résidents de l’Église orientale desservaient à ce moment-là — l’Église grecque catholique russe St Michaels — une petite chapelle sur le campus du vieux St-Patrick située sur la rue Mulberry, à Manhattan. Un paroissien pieux et important, marié depuis plusieurs années et qui avait élevé ses enfants dans la foi, avait décidé d’aller de l’avant pour effectuer un changement de sexe. La congrégation tout entière était en choc, horrifiée et scandalisée, quoique pas nécessairement surprise.

Plusieurs années auparavant, ce paroissien avait commencé à se présenter et à s’habiller de   « manière plus efféminée » après la mort de sa femme bien-aimée. Au début, bien qu’il y ait eu quelques gloussements de rire et des chuchotements, la plupart des gens de cette église ont attribué ces changements à une dépression causée par la mort de sa femme, et ils ont eu pitié de lui. Quand cela s’est avéré être une situation qui perdurait et que cette personne a continué à se présenter de manière de plus en plus féminine et à s’habiller de manière plus flamboyante, les gloussements distraits se sont transformés en insultes directes et le sentiment de pitié s’est évanoui — les jugements et condamnations ont pris toute la place.

Le père Ciszek recevant un doctorat honorifique de l’Université de Fordham, en mai 1979.

Le rejet de sa communauté ne l’a pas découragé ; il a choisi d’aller de l’avant avec l’opération qui était alors une nouveauté et dont on avait à peine entendu parler jusque-là,  sans oublier le risque qui y était rattaché. Heureusement, l’opération a été un succès — la paroissien (e) a survécu — et elle a demandé de recevoir une visite pastorale : pour prier et avoir une conversation spirituelle. Cette demande, transmise par la réceptionniste du centre, était à l’origine de la vigoureuse discussion qui était en cours.

Quelques prêtres soulignaient les implications théologiques de cette opération, alors que d’autres débattaient de la moralité de cette décision. Certains plaisantaient aux dépens du paroissien — tous, il semblait, avaient une opinion qu’ils n’étaient pas gênés de partager — tous, sauf Walter. Avec sa manière habituelle calme, réfléchie et sans présomption, il était assis et écoutait tranquillement. Quand quelqu’un lui a demandé ce qu’il pensait de cette situation, il a répondu en deux mots : « j’irai. » Il s’est alors levé, a quitté le rassemblement, et est allé visiter cette personne à l’hôpital.

Le père Philaret Littlefield, un ami de Ciszek et un membre de la communauté de John XXIII, se rappelle que Walter y est allé sans fanfare et sans présupposé et qu’il est revenu sans cérémonie comme à son habitude, sans préciser sur ce qu’il avait vu ou dit. Peu importe ce que c’était, cela a fait grande impression : cette paroissienne est devenue une visiteuse régulière du centre et a graduellement réintégré la petite communauté de St Michaels.

Alors que nous faisons mémoire du jour de la mort de Ciszek (qui nous l’espérons, si Dieu le veut, sera un jour sa journée de fête religieuse), le 8 décembre, je pense que cette petite histoire a beaucoup à nous apprendre 37 ans après sa mort. Occasionnellement, lorsque nous sommes confrontés à la souffrance ou aux difficultés d’une autre personne, je me comporte comme les prêtres dans cette salle Haustas. J’aime discuter, débattre, me porter à la défense de  — théoriser, élaborer des stratégies et critiquer. En d’autres mots, j’aime parler, et je ne suis pas le seul. En effet, dans notre monde et dans notre église actuelle on ne manque pas de mots. Les divisions sont alimentées le long des lignes idéologiques et entre les camps politiques. Les médias sociaux amplifient ce discours toxique perpétuel et une rhétorique hyperbolique. Notre monde n’est pas à court de mots.

Ce qui nous manque c’est d’agir. Quand les êtres humains souffrent — qu’ils soient aliénés, malades, rejetés ou méprisés, la dernière chose dont ils ont besoin c’est d’un discours idéologique. Ils ont plutôt simplement besoin que l’on se soucie assez d’eux pour leur rendre visite comme l’a fait Walter. Une personne qui vit un deuil ou qui est blessée par l’Église n’a pas besoin de mes réflexions théologiques — elle a besoin que je lui amène le Christ en étant bienveillant, en entrant dans son inconfort, en lui permettant de se sentir en sécurité quand elle l’exprime. Bien que tranquille, sans prétention et petit, un acte d’amour accomplit davantage que des milliers de mots éloquents pour changer notre monde pour le meilleur et pour faire advenir le royaume de Dieu. Walter Ciszek, priez pour nous !

Christopher Smith SJ, est un scolastique jésuite qui enseigne les sciences à l’école secondaire Gonzaga College, à Washington D.C.