« Ignatienne au quotidien » est une chronique mensuelle signée Shannon K. Evans, autrice et mère de cinq enfants en Iowa. Elle relit dans une perspective ignatienne des moments de grâce qui éclairent un quotidien chaotique.
Ma fille retire vivement sa main de la mienne et tape du pied sur le trottoir. Elle n’a pas deux ans et son vocabulaire est limité, mais elle sait tenir son bout. Elle secoue la tête et tend le doigt d’un air décidé: nous n’allons pas dans la direction qui lui convient.
Le soir après souper, nous faisons souvent une petite promenade, Théa et moi, pendant que ses grands frères prennent leur bicyclette ou sautent sur le trampoline. Elle n’est presque jamais d’accord avec le chemin que nous prenons. Très souvent, je suis ravie de la laisser décider, mais il arrive que j’aie une destination précise en tête. Ce soir, nous nous dirigeons vers la cour d’une voisine, où Théa pourra jouer dans le carré de sable et se servir des jouets de quelqu’un d’autre (ce qui est toujours plus amusant). Je sais, moi, qu’il y a de bonnes choses qui l’attendent dans cette direction, mais elle n’arrive pas à se les représenter. Alors, elle me résiste; elle exige que nous allions dans « sa » direction.
Je médite depuis quelque temps sur la Madonna della Strada, « Notre-Dame du Chemin », patronne de saint Ignace et de l’ordre des jésuites. Je suis frappée de voir ce vocable particulier de Marie si étroitement lié à la spiritualité ignatienne qui met l’accent sur le discernement et l’attention à nos désirs profonds, deux outils spirituels qui nous indiquent « le chemin ». Chercher la volonté de Dieu et nous laisser guider par Lui, n’est-ce pas l’essentiel de notre vie spirituelle? En fin de compte, ce que nous espérons chaque jour, dans chaque rencontre et dans chaque difficulté, n’est-ce pas justement de suivre le bon chemin?
Avec les années, je prends conscience que le cœur de ma vie chrétienne, c’est moins ce que je crois que ce que je vis. La façon dont je prends mes décisions. La façon dont je vois le monde. La façon dont je recherche la justice et la miséricorde en société et dans ma vie de tous les jours. Au quotidien, les doctrines théologiques ont beaucoup moins d’impact sur le monde qui m’entoure que les choix que je fais et les gestes que je pose. Trouver la volonté de Dieu pour moi, « mon chemin » en somme, a toujours quelque chose à voir avec l’impact que j’ai sur le monde.
Alors que je m’efforce de vivre ma foi le plus possible en suivant ma conscience, Notre-Dame du Chemin est comme un cadeau sur ma route. J’ai grandi dans une famille protestante pieuse, et donc en l’absence de Marie, et j’ai été surprise, une fois devenue catholique, de tomber amoureuse d’elle petit à petit. Une compagne, un guide, une mère sur le chemin avec moi rend mon séjour beaucoup moins solitaire.
Comme mère, je me rappelle que les enfants ont bien du mal à reconnaître ce qui serait le mieux pour eux. Je le vois tous les jours chez mes cinq enfants alors que j’essaie de les orienter vers des choses qui sont vraiment bonnes, belles et vraies, et de les détourner de choses qui pourraient leur faire mal, et qui sont immanquablement celles qu’ils veulent. Quand j’empêche Théa de courir dans le milieu de la rue, par exemple, j’ai droit à des hurlements et à une pluie de coups.
Mais pour Notre-Dame du Chemin, je suis moi-même une enfant; et comme ma fille, je suis butée. Très souvent, je suis sûre de connaître le chemin. Je tape du pied et je secoue la tête, convaincue de savoir ce qu’il me faut. Je suis bien lente à faire confiance à ma mère.
Combien de fois je me suis retrouvée « à la croisée des chemins », certaine de la direction que je devais suivre? Or la grâce de Dieu avait d’autres plans. Ces corrections de parcours sont souvent cruelles sur le coup: je serais bien tentée de trépigner de rage et pourtant, avec un peu de recul, il me faut bien reconnaître que « tout contribue à mon bien », comme dit l’Écriture (Romains 8, 28).
Quand la pandémie a éclaté, l’an dernier, et que les écoles des enfants ont dû fermer, j’ai cru que de me trouver confinée à la maison avec cinq petits 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, finirait par m’asphyxier et tuer l’espoir que j’avais depuis des mois de me mettre à écrire. Or, à ma grande surprise, il semble que le fait de jouer aux naufragés avec mon petit équipage ait été exactement ce dont j’avais besoin : je me suis sentie inspirée de nouveau par la maternité, reconnaissante d’avoir un emploi du temps dégagé pour pouvoir jouer dans le jardin, et même ressourcée dans ma prière. Dans les interstices de ma journée, j’ai commencé à écrire un livre sur la maternité, que je n’avais absolument pas prévu et qui paraîtra pourtant en septembre prochain.
Mon chemin, ma volonté, n’est pas toujours ce qui me convient; mais Le Chemin, oui: le chemin de la confiance en Dieu, source de vie et de paix. Ce que m’offre Notre-Dame du Chemin, c’est un rappel tangible que je peux faire confiance à quelque chose de plus grand et de meilleur que moi. Ainsi réconfortée, j’apprends à trouver ma satisfaction en toutes choses. Comme saint Ignace, j’apprends à renoncer à mon plan de match et à trouver la paix intérieure sur la route, en chemin. Et comme saint Ignace, et comme ma fille Théa, je fais confiance à une mère aimante qui sera toujours là avec moi.
Shannon K. Evans est l’auteure d’Embracing Weakness: The Unlikely Secret to Changing the World. [Étreindre la faiblesse: l’improbable secret pour changer le monde]. Elle a publié dans les revues America et Saint Anthony Messenger et elle a fait paraître des textes en ligne, entre autres, sur les sites Ruminate, Verily, Huffington Post et Grotto Network. Shannon, son mari et leurs cinq enfants vivent dans le centre de l’Iowa.