Shannon K. Evans, autrice et mère de cinq enfants, raconte les moments de grâce de son quotidien.
par Shannon K. Evans
Je ne m’attendais pas à devoir me débattre avec un traumatisme en allant faire une promenade dans le quartier avec mes deux petits d’âge préscolaire. C’était une belle journée ensoleillée, et ma tâche était moins lourde que d’habitude puisque les trois plus grands avaient décidé de rester à la maison avec leur papa plutôt que d’allonger notre caravane. Je descendais la rue avec la double poussette, marquant une pause le temps d’ouvrir un sac et de distribuer des grignotines à quatre mains tendues, en route pour la bibliothèque où prendre un livre que j’avais réservé. Au coin de la rue, devant la maison d’amis que nous avons rencontrés à quelques reprises, j’aperçus une pancarte plantée sur leur gazon avec, en lettres blanches sur fond noir, Black Lives Matter. Les larmes me sont montées aux yeux.
La famille qui habite cette maison est blanche, comme la plupart de nos voisins dans notre petite ville du Midwest. Moi aussi, je suis blanche, comme mon mari et la plupart de nos enfants. Mais notre plus vieux est noir; il est né en Ouganda, et il avait un an quand nous l’y avons adopté. J’ai porté douloureusement les tensions raciales de cet été. Je ne peux qu’imaginer le poids que doivent porter les quelques familles noires qui vivent dans les environs.
Quand nous avons adopté notre premier enfant, il y a 10 ans, nous avons essayé de nous informer sur l’expérience noire afin d’être mieux en mesure d’élever une famille transraciale. Peu après, l’essor des médias sociaux a accéléré notre démarche d’apprentissage : on filmait et on diffusait la mort d’Américains noirs désarmés, ce qui a grandement accéléré notre prise de conscience. Comme nation, ai-je appris, nous avions essayé de tourner la page sans apporter d’abord les correctifs qui s’imposaient. Nous continuons d’en payer le prix.
S’il n’avait pas été assassiné, Martin Luther King Jr aurait 91 ans aujourd’hui. Ma grand-mère a eu 86 ans ce mois-ci. La ségrégation ne remonte pas à si longtemps – moins que le temps d’une vie. L’esclavage non plus. Un peuple traumatisé continuera à souffrir des séquelles du traumatisme; il n’est pas vrai que le temps guérit tout. Sans aide, on n’y arrive pas.
La réalité de l’injustice raciale dans notre pays n’est pas nouvelle pour moi, mais elle n’en finit pas d’être douloureuse. Elle n’en finit pas d’être terrifiante. Alors que sur ma page Facebook des chrétiens blancs clament avec insistance qu’il s’agit de bandits qui résistent à une arrestation, des êtres aussi inoffensifs qu’Elijah McClain sont assassinés par la police tandis qu’ils expliquent calmement : « je suis introverti. Je suis seulement différent, c’est tout. » Quand j’ai entendu parler du cas de McClain, cet été, j’ai craqué: je ne le connaissais que trop, il était trop semblable au fils que j’aime; c’était trop possible. J’ai encore le cœur brisé en songeant à ses derniers mots, je me demande si je m’en remettrai jamais.
Où est Dieu quand on tue des garçons et des filles noirs sans armes? Où est Dieu à l’heure où notre pays doit rendre des comptes? Pourquoi les gens qui prient Jésus n’entendent-ils pas la voix de ceux et celles qui ressemblent le plus aux marginaux dont il s’occupait tant? Mes amis chrétiens parlent des prochaines élections sans qu’il soit question de réparer le racisme dans notre pays. Ne comprennent-ils pas que la vie de mon fils est en danger? N’entendent-ils pas les cris des opprimés? Cela me peine, cela me fait mal, et me laisse au cœur une amertume qui m’angoisse.
Que faire de cette racine d’amertume? Comment ne pas céder au désespoir et à la haine? Je me rappelle les autres.
Je me rappelle les chrétiennes et les chrétiens noirs que je connais, qui refusent de se taire, mais qui refusent aussi de céder à la haine et au vitriol. Je me rappelle les chrétiennes et les chrétiens blancs que je connais, qui participent aux manifestations, qui appellent leurs représentants et qui prennent position publiquement. Je me rappelle mes voisins avec l’affiche Black Lives Matter sur leur terrain, proclamant qu’ils entendent faire en sorte que notre quartier soit physiquement et émotionnellement sécuritaire pour tout le monde.
Je me rappelle que la réponse à la question Où est Dieu? ce sont les gens. Ils l’ont toujours été. Emmanuel, Dieu-avec-nous, se fait proche des cœurs brisés en revêtant notre chair. Il se sert de vases humains. De vous. De moi.
La spiritualité ignatienne nous enseigne que nous pouvons trouver Dieu en toutes choses – même lorsque cela nous semble improbable, même lorsque le poids devient trop lourd. Quand Dieu semble trop loin, insensible et passif, jetons un coup d’œil à gauche et à droite, et rappelons-nous : cette personne, ici même, c’est la façon dont Dieu se manifeste, passionnément, activement. Et nous sommes tellement plus nombreux que nous ne le pensons.
En rentrant à la maison ce jour-là, quand nous sommes repassés devant l’affiche noire et blanche, je n’ai pas essuyé mes larmes. Je les ai laissées venir. Je les ai laissées tomber comme autant de petites prières d’action de grâce pour l’offrande d’amour de mes voisins. Je les ai laissées monter comme un chant de louange pour une prière exaucée, celle qui avait demandé à Dieu de se montrer enfin. Parce que j’ai compris tout à coup que c’est bien comme ça qu’il agit : à travers les gens tout autour de moi.
Shannon K. Evans est l’auteure d’Embracing Weakness: The Unlikely Secret to Changing the World. [Étreindre la faiblesse: l’improbable secret pour changer le monde]. Elle a publié dans les revues America et Saint Anthony Messenger et elle a fait paraître des textes en ligne, entre autres, sur les sites Ruminate, Verily, Huffington Post et Grotto Network. Shannon, son mari et leurs cinq enfants vivent dans le centre de l’Iowa.