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Histoires

Par Eric A. Clayton

Les deux derniers mois ont été pénibles pour Facebook

Si vous avez suivi les nouvelles, vous savez qu’une série de reportages d’enquête, un tourbillon de témoignages et d’entrevues, tant au Capitole que sur nos écrans de télévision et un consortium de journalistes internationaux — tous aiguillonnés par le travail d’une analyste de Facebook — devenue lanceuse d’alerte — ont révélé ce que nous savions probablement tous ; des choses passablement mauvaises se passaient sur- et apparemment aussi à — Facebook.

Instagram engloutit l’estime de soi des jeunes. L’algorithme de Facebook nourrit notre colère. Et les communautés de l’Éthiopie jusqu’au Myanmar souffrent d’une violence et d’une haine innommable parce personne ne semble capable, ou ne veut superviser adéquatement tous les contenus produits à travers le monde.

Et pour couronner toutes ces séries de rapports troublants, nous apprenons que Facebook amplifie le monde numérique qu’il a créé, comme le démontre le nouveau nom de la compagnie, Meta.

Si la science-fiction nous a appris quelque chose, nous devrions rester à tout le moins sceptiques face à la création d’univers alternatifs ou en parallèle, particulièrement ceux qui sont alimentés par des machines et complètement virtuels dans leur manifestation. Je suis pas mal certain que cela était la morale du film Matrix.

Toutefois, cela n’est pas uniquement à propos de Facebook, c’est à propos des médias sociaux, l’écosystème dans lequel nous nous enfonçons et dans lequel nous nageons quotidiennement. Bien que cela soit problématique — et cela l’est de bien des manières — les médias sociaux sont ici pour de bon.

Durant la première semaine des Exercices spirituels, saint Ignace nous met au défi de regarder de près, honnêtement, l’ensemble de nos péchés et de notre état de pécheur. C’était son espoir que cela nous ferait sentir extrêmement triste pour toutes les fois où nous avons refusé ou ignoré l’amour de Dieu, oui, mais c’était aussi son désir que nous contemplions l’ampleur de la souffrance de notre monde. Avec Dieu, nous voyons l’immense fragilité de la création ; nous sommes touchés, émus aux larmes.

Nous désirons marcher avec Jésus, voir toutes choses à travers les yeux du Christ, et nous consacrer au projet d’amour, de miséricorde et de compassion de Dieu, afin de concrétiser le rêve de Dieu. Nous désirons guérir ce qui est brisé en nous ainsi que les blessures que nos fragilités ont causées à notre monde.

Cela ne peut fonctionner que si — pour employer une fois de plus les mots de Walter Burghardt SJ — nous jetons un « long regard aimant à la réalité. » Nous ne pouvons pas détourner les yeux devant le grand besoin du monde, l’extrême souffrance de l’humanité et de la création.

N’est-ce pas exactement ce que nous sommes tentés de faire dans notre déroulement abrutissant du flux de messages d’un média social après l’autre ? N’est-ce pas l’objectif final du métavers supposé de Facebook ? Nous nous déconnectons du monde. Plus importants encore, nous devenons de plus en plus accoutumés à vivre des vies incohérentes.

Après tout, est-ce que les images que nous partageons sur Instagram sont des regards attendris posés sur nos vies actuelles, ou bien des vies que nous prétendons avoir ? Quels sentiments essayons-nous d’éveiller chez notre auditoire ? La jalousie ? L’envie ? La colère ?

Est-ce que TikTok met devant nous un contenu qui est le reflet des nombreux besoins de notre monde, ou bien des tendances qui sont le plus à même de nous garder présents sur la plateforme ? Est-ce que nous cherchons à promouvoir le bien commun ou à nous estimer pertinents et opportuns ?

Est-ce que nos «gazouillis» s’intéressent aux fragilités et aux souffrances des autres, ou ne faisons-nous que picosser, encore et encore, les blessures jusqu’à ce que celles-ci s’infectent et saignent ? Après tout, nos chambres d’écho ne nous montrent souvent que ce que nous voulons voir — ou ce qui nourrit nos commérages.

Si ces rapports sur Facebook ne font que confirmer ce que plusieurs d’entre nous soupçonnaient, alors quelle responsabilité avons-nous — avons-nous eu – d’agir ?

Les médias sociaux sont bien enracinés, mais nous ne devons pas les considérer simplement comme une autre série d’applications ou même comme une autre source de nouvelles. Ceux-ci deviennent une force médiatrice à travers laquelle nous expérimentons la réalité — ou non.

La spiritualité ignatienne est profondément préoccupée par la manière avec laquelle nous faisons l’expérience de la réalité, parce que c’est là que Dieu se trouve ; c’est là où le peuple de Dieu se trouve, où la création de Dieu continue de se déployer. Quand nous nous perdons devant les écrans, nous nous déconnectons de nous-mêmes, de nos corps, de notre présence dans le monde créé.

Nous devons continuer à nous remettre en question personnellement, et les uns les autres, afin de poser un regard honnête, approfondi et douloureux sur ce qui se passe réellement dans notre monde, sur ce qui se passe autour de nous quotidiennement, et non seulement sur ce qui est véhiculé à travers les algorithmes.

Ainsi, je vous invite à prendre le temps de prier avec cet examen des médias sociaux.

  1. Dieu est là. Tout vient de Dieu ; Dieu est présent en toutes choses — y compris dans les recoins les plus sombres des médias sociaux. Rendez grâce à Dieu pour les personnes de l’autre côté de chaque gazouillis et de chaque vidéo de TikTok, pour chacune des personnes qui naviguent sur le flux de messages, pour la capacité de se connecter avec des personnes proches et éloignées de manière si innovatrice. Toutes ces personnes sont faites à l’image de Dieu.
  2. Demandez la lumière. Demandez à Dieu la grâce de voir et de refléter la vérité, la beauté et l’humanité dans tout ce que vous faites avec les médias sociaux.
  3. Prêtez attention aux détails. Chaque image, chaque gazouillis, chaque demande de prière ou remarque désobligeante révèle quelque chose du peuple de Dieu et de la création divine. Quels besoins, blessures profondes ou souffrances voyons-nous ? Est-ce que vous constatez que vous jugez les autres ? Quelles sont les personnes qui sont marginalisées, mises de côté ou calomniées ? Quels besoins ont-elles ? D’un autre côté, quelle beauté voyez-vous ? Où constatez-vous que les gens s’entraident, attirent l’attention sur les choses importantes ou partagent leur joie ? Quels sentiments cela suscite-t-il en vous ? Sont-ils bons ou mauvais ?
  4. Est-ce que je reflète l’amour de Dieu ? Comment êtes-vous appelés à répondre de manière efficace à ce que vous constatez ? Pouvez-vous le faire avec ce médium particulier ? Néanmoins, sentez-vous une pression de le faire ? Dans vos propres mots et images, partagez-vous quelque chose de bon et vrai, ou abaissez-vous les autres ou ne parlez que de vous ? Êtes-vous obsédés avec les «clics», les «j’aime» et les «gazouillis partagés» ? Partagez-vous seulement pour valoriser votre égo ou votre marque de commerce ? En quoi contribuez-vous à une culture qui refuse de poser un « long regard aimant sur le réel » ? Quels sentiments tentez-vous d’instiller chez les autres ?
  5. Déconnectez. Dieu est bien plus grand que votre écran. Prenez le temps de rencontrer Dieu, le peuple de Dieu et la création divine ; ne vous laissez pas absorber par le monde numérique. Demandez à Dieu la clarté pour discerner comment encourager l’indifférence ignatienne envers les médias sociaux — en d’autres mots, d’utiliser les médias sociaux seulement dans la mesure où cela contribue à la louange, la révérence et au service de Dieu, du peuple de Dieu et de la création ; et déconnectez-vous lorsque ce n’est pas le cas.

En somme, comme le suggère le «principe et fondement» d’Ignace, nous devons être également contentés avec les «j’aime», les gazouillis partagés, les partages et les commentaires, comme nous le sommes avec les messages qui passent inaperçus dans la mesure où, dans les deux cas, cela nous aide à faire tout ce que Dieu veut. Mais nous devons procéder délicatement, conscients de ne pas transformer les médias sociaux — ou notre propre présence sociale — en un dieu.

Eric A. Clayton est le directeur adjoint des communications à la Conférence jésuite du Canada et des États-Unis. Il est l’auteur du livre «Cannonball Moments: Telling Your Story, Deepening Your Faith» (Loyola Press) qui sera publié prochainement. Ses articles ont été publiés dans America Magazine, National Catholic Reporter, Give Us This Day, etc.